Une expo retrace 110 ans d’écoutes et de guerre électronique militaires françaises
Hacking 4 mili
Le développement des télécommunications a de tout temps été suivi par celui de l'interception et du décryptage de ces mêmes télécommunications. Une exposition, partiellement consultable en ligne, revient sur les techniques et procédures développées par l'armée française ces 110 dernières années.
Le 04 octobre à 16h51
8 min
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L’exposition « 110 ans d’écoutes au service de la Nation », proposée par l'Association de la guerre électronique de l’armée de terre (AGEAT), « relate les origines des services d’écoutes et leur engagement sur plus d’un siècle dans tous les conflits et dans toutes les opérations extérieures dans lesquels la France a été impliquée, de la Grande Guerre jusqu’au Sahel ».
Présentée à Haguenau, la ville alsacienne qui accueille la garnison des « traqueurs d'ondes » du 54e régiment de transmissions (54e RT), la composante « Guerre électronique de théâtre » du commandement du renseignement, l'exposition se clôturera le 13 octobre.
Un membre de l'AGEAT a cela dit pris le soin d'en proposer une visite virtuelle, afin de permettre aux personnes qui ne pourraient se rendre à Haguenau de découvrir cette exposition qui « soulève une partie du voile sur l’action de ces hommes et femmes de l’ombre ».
On y apprend notamment que c'est François Cartier, le chef de la section du chiffre et du bureau central de la télégraphie sans fil (TSF) qui avait proposé, en 1911, d'utiliser la tour Eiffel et les postes TSF des places-fortes du nord et de l’est afin d’écouter les communications radio allemandes. Ce qui avait permis à la France de « disposer d’un service d’écoutes organisé et opérationnel » aux tous débuts de la Première Guerre mondiale de 14 - 18 :
« Dès leur invention en mai 1915 par le sous-lieutenant Delavie, les postes d’écoutes téléphoniques des communications allemandes de 1° ligne mettent en échec les tentatives d’attaque, les bombardements et les réglages d’artillerie, les relèves. »
Professeur de sciences, André Delavie avait été envoyé sur le front en tant qu'officier téléphoniste, à la tête de 30 téléphonistes, chargés de relier les postes de commandement via les boyaux d'accès. Découvrant qu'il était possible d'écouter sur certaines lignes des communications échangées sur d'autres, il commence à éloigner les prises de terre des postes téléphoniques, et parvient à écouter certaines communications des soldats allemands, déployés à quelques dizaines de mètres seulement.
Radiogramme de la Victoire, Travaux ruraux et Merlinettes
Complément des écoutes des postes TSF, la radiogoniométrie, qui vise à déterminer la direction d'arrivée d'une onde électromagnétique, permettait de son côté de localiser les postes radio ennemis. Ce faisant, elle contribuait à « définir l’organisation du système de transmissions et à identifier les postes de commandement de l’adversaire », les mouvements des armées allemandes, mais aussi de suivre l’activité de réglage des tirs d’artillerie guidés par TSF à partir d’avions.
Le décryptage du « Radiogramme de la Victoire » par le cryptanalyste Georges Painvin permit à l'armée française d'intercepter une « information vitale » conduisant à identifier la future attaque allemande, et donc de repousser une contre-offensive menaçant directement Paris. Pour des questions de sécurité, l'histoire de ce déchiffrement fut gardé secrète pendant 50 ans.
Après l’armistice du 22 juin 1940, et à l’instar de certains officiers des services spéciaux, les officiers transmetteurs des services techniques décidèrent de continuer le combat dans la clandestinité. Les premiers se camouflèrent sous couvert d'une soi-disant « entreprise de Travaux Ruraux », couverture du contre-espionnage militaire clandestin offensif, dirigé par Paul Paillole. Les seconds obtinrent, en décembre 1940, la création du groupement des contrôles radioélectriques (GCR) du Cadre Spécial Temporaire des Transmissions de l’État (CSTTE), rattaché aux PTT et dirigé par le commandant Paul Labat.
Ingénieur des PTT mais également résistant, Robert Keller fut pour sa part recruté pour un « piquage sur câble » de la ligne téléphonique Paris-Metz afin de mettre sur écoute les communications militaires téléphoniques allemandes. L'opération, surnommée source K, permit la dérivation de 70 circuits de la Kriegsmarine, de la Luftwaffe, de la Wehrmacht et de la Gestapo, entre Paris et Berlin. Dénoncé par René Bousquet, condamné à mort, Keller mourra du typhus à Bergen Belsen le 14 avril 1945, la veille de la libération du camp.
L'exposition revient aussi sur les « Merlinettes », surnom donné aux 2 000 jeunes femmes du Corps féminin des transmissions (CFT), opératrices d’écoutes, interprètes et analystes de la 808° Compagnie d’Ecoutes et de Radiogoniométrie (CER) créée par le général Lucien Merlin en Afrique du Nord en 1942. Elles participèrent ensuite à toute la campagne du Corps Expéditionnaire Français (CEF) en Italie, en France et jusqu'en Allemagne.
Décolonisation, guerre froide et carcasses fumantes
« Considérée comme "l’âge d’or" de la guerre électronique », précise la visite virtuelle, la guerre insurrectionnelle d’Indochine mobilisa de son côté près de 2 000 spécialistes dans la Compagnie Autonome d’Écoutes et de Radiogoniométrie (CAER) de 1946 à 1956. Les conditions de travail et d’hébergement étaient « extrêmement dures avec des températures atteignant parfois 60 °C dans les baraques, les avions ou sous les bâches des camions qui doivent rester fermées pour ne pas dévoiler la vraie nature du véhicule ».
L'expo revient aussi sur les « centres d’écoutes permanents » déployés le long des frontières est-allemande et tchécoslovaque pendant la Guerre froide. Les Escadrons Électroniques Sol de l'Armée de l'air française, « sonnettes d'alarme » de la Force Aérienne Tactique, étaient ainsi chargés de mettre en œuvre les différentes composantes de la « guerre électronique », du recueil du renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) à la mise en œuvre de contre-mesures électroniques, de type brouillage.
En amont et pendant les 100 heures de l’offensive terrestre de l’opération Tempête du désert, en 1991, les écoutes renseignèrent l’état-major Daguet sur les positions et la nature des unités irakiennes auxquelles les unités françaises et américaines de la division allaient être confrontées. « Elles contribuent directement à la destruction d’une vingtaine de chars irakiens », précise l'exposition, puis à la localisation d'une division ennemie qui, après intervention de l'aviation américaine, « n'est plus que carcasses fumantes ».
L'expo présente aussi les « systèmes d’interception de circonstance (valises d’écoutes) » utilisés par les Détachements d’Appui Électronique (DETAE) et les Patrouilles Légère d’Appui Électronique (PLAE) des 44° et 54° Régiment de Transmissions (RT). Ces deux unités de guerre électronique, chargées des recherches, analyses, localisation, écoutes, interceptions et brouillages des réseaux radioélectriques adverses, font partie de la Brigade de renseignement et cyber-électronique (BRCE) du nouveau Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR).
À l'origine du décryptage d'Enigma, une opération franco-polonaise
L'exposition se conclut sur « la vraie histoire d'Enigma », du nom de la machine électromécanique portative de chiffrement utilisée par l'armée nazie. Elle rappelle qu'en 1931, Hans Thilo Schmidt, fonctionnaire du bureau du chiffre du ministère de la défense, s'était présenté à l’ambassade de France à Berlin pour proposer ses services, et avait transmis les notice d’utilisation, procédures de chiffrement, code de service radio, tableaux de clés de chiffrement de la machine, tous marqués du sceau « Geheim » (secret).
À partir de ces renseignements, deux mathématiciens polonais, Marian Rejewski et Henry Zygalski vont reconstituer une machine ENIGMA « en seulement 18 mois ». En 1939, suite à l'invasion de la Pologne, ils rejoignent la France et intègrent le « PC Bruno », centre de décryptement de l’armée française, dirigé par Gustave Bertrand, l'agent traitant d'Hans Tilo Schmidt.
L'expo ne le précise pas, mais la célèbre bombe électromécanique conçue par Alan Turing dans le cadre du projet Ultra afin de décrypter les messages chiffrés au moyen d'Enigma lui avait été inspirée par la « Bombe cryptologique » (en polonais : « bomba kryptologiczna ») conçue en octobre 1938 par le cryptologue polonais Marian Rejewski du Biuro Szyfrów, le bureau du renseignement militaire polonais.
Les personnes qui voudraient en savoir plus peuvent aussi se rendre au musée des Transmissions – espace Ferrié, accolé à l’école des Transmissions à Cesson-Sévigné en Ille-et-Vilaine, qui rassemble de son côté des objets militaires et civils de télécoms et relatifs à l’informatique, la guerre électronique et le chiffrement.
Aucune des deux expositions ne semble revenir, par contre, sur les centres radioélectriques (stations d'écoute satellites) de la DGSE, non plus que les détachements avancés (ou autonomes) de transmission (DAT) qu'elle opère avec la Direction du Renseignement Militaire (DRM) dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) et à l'étranger, dont l'auteur de ces lignes avait dressé une carte il y a quelques années.
Une expo retrace 110 ans d’écoutes et de guerre électronique militaires françaises
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D'autant que cela peut probablement susciter des vocations, et donc apporter de l'attractivité vers l'employeur public...